CAREME
ROMAN GRAPHIQUE
Série finie
1 - NUIT BLANCHE
-+-+- Résumé -+-+-
Martinien est vendeur d'aspirateurs. Carême est restaurateur de tableaux et d'oeuvres liturgiques. L'un promène sa frêle silhouette et ses allergies de porte en porte, de ville en ville. L'autre traîne sa lourde et imposante carcasse d'un lieu de culte à l'autre. Une biche et une serveuse les amèneront à partager la même table d'un restaurant bondé. De propos convenus en confidences, ils décident de faire un bout de chemin ensemble. La solitude et le regard des autres sont sans doute moins pesants à deux.
Après l'atmosphère sombre et oppressante des profondeurs de "Sanctuaire", Christophe Bec troque le pinceau pour la plume pour nous conter une belle histoire d'amitié. Une histoire simple d'hommes seuls. Une touche féminine et fantastique est toutefois présente avec le personnage de la dame blanche, à la fois compagne de route, Pythie et ange gardien des deux compères.
Le road movie est un exercice à la fois tentant et difficile. Il permet de laisser se développer les relations entre des personnages qui, au gré des joies partagées et des difficultés surmontées ensemble, verront naître une complicité insoupçonnable a priori. Le genre autorise également une certaine légèreté en terme d'intrigue et de densité du récit. Le spectateur rompu à ce style maintes fois décliné au cinéma sait qu'il s'articulera autour de saynètes et d'anecdotes d'une intensité variable. "Carême" en est une illustration assez édifiante.
Ainsi, la scène d'introduction située dans l'Auberge est tout à fait captivante, les angles de vue sont parfaitement choisis et donnent de l'ampleur à un texte admirable énoncé en voix off. Le trait de Paolo Mottura, formé à l'école Disney, est extrêmement séduisant, en particulier en ce qui concerne les personnages et leurs expressions. Une entrée en matière aussi réussie devrait suffire à convaincre le lecteur de suivre l'intégralité des aventures, présentes et futures, des deux amis. Pourtant, d'autres situations sont moins enthousiasmantes comme ce passage obligé mais peu utile de Carême dans une église qui nous rappelle que, souvent, les animaux (chien au regard ô combien disneyen pour l'occasion) valent mieux que certains hommes. Ou encore la visite de Martinien au garagiste. Les défenseurs de l'album feront sans doute remarquer qu'il s'agit d'un épisode où les personnages ne sont pas ensemble, ceci expliquant peut-être que la magie n'opère pas. Ou qu’il s’agit d’un changement de rythme imposé par le genre. Soit.
D’un point de vue graphique, on pourra également regretter que les véhicules, particulièrement lorsqu'ils sont en mouvement, donnent parfois l'impression d'être "posés" sur l'asphalte ce qui est gênant dans une histoire où, fort logiquement, ils sont très nombreux. En revanche les bâtisses sont tout à fait bien rendues, en témoigne cette colossale gare centrale, véritable cathédrale des temps modernes.
Tout ceci pour dire que, ces quelques pinaillages mis à part, cet album sait charmer et qu'il constitue une des bonnes surprises de la rentrée. Une de celles que le catalogue des Humanos sait, de temps à autre, nous réserver.
2 - CAUCHEMARS
-+-+- Résumé -+-+-
Martinien et Aimé ont gagné Lanmeurbourg, la cité impériale. Ainsi qu’un pactole versé par la Compagnie du Grand Tunnel en guise de dédommagement ( cf. t1 Nuits blanches ). A la tête d’une petite fortune, Martinien compte bien profiter de cette manne plutôt inattendue en compagnie de son ami. Mais l’argent peut-il tout guérir, y compris les traumatismes, ou risque-t-il de tout gâter, même lorsqu’il s’agit simplement de réaliser ses ambitions et ses rêves les plus anciens ?
Auréolé du prix Uderzo réservé aux jeunes talents à Nîmes, Paulo Mottura confirme qu’il a un style parfaitement reconnaissable et bigrement séduisant. Alors que ses talents de metteur en scène de scènes de foules se révèlent, ses capacités de créateur d’architectures originales sont confirmées avec un panache indiscutable. Cette ville, ces bâtisses, ces monuments tout droits sortis des Etats les plus à l’Est dans notre inconscient collectif sont réellement impressionnants et marquent peut-être plus encore les mémoires que les personnages. Les scènes muettes, finalement assez nombreuses, qui jouent la carte du comique de situation ou purement visuel sont également exécutées avec aisance.
Du côté du scénario, on est convaincu que Christophe Bec sait où il va et le récit suit son cours, sans véritables surprises au programme. Avec minutie, les scènes de cette fable aux allures humanistes s’enchaînent en alternant les faces sombres et rieuses. Des incursions vers le fantastique ouvrent et concluent l’album, nous rappelant que c’est probablement dans ce registre et du côté d’Aimé que l’étincelle pourra venir, tant la voie dans laquelle il s’est engagée semble elle connue et balisée. Le reste repose sur de petites saynètes jouant le ton de la comédie (le recours au chien Ferdinand, la ficelle facile de l’absurdité bureaucratique, le comportement des nouveaux riches).
Un agréable album de transition que ce deuxième volet et ce n’est pas une trame qu’on peut juger un peu conventionnelle qui suffit à donner des Cauchemars au fan de la première heure. Même s’il attend, dans quelques mois, un dénouement plus imprévisible à ce triptyque.
3 - LEVIATHAN
-+-+- Résumé -+-+-
Pour Martinien, la roue a tourné. Editeur à succès, membre de la haute société, futur père, il souhaite désormais conquérir d'autres horizons. Il peut par ailleurs toujours compter sur l'indéfectible amitié de son cher Aimé, rongé par le mal, aussi disponible que discret. Mais les choses ne sont pas faites pour rester indéfiniment en l'état, surtout lorsque tout va bien, et la roue va tourner encore et encore...
Léviathan laisse un sentiment mitigé. Rendez-vous avait été pris pour cet épilogue : pour être surpris, charmé ou touché. Et si possible les trois à la fois en vivant de derniers instants aux côtés des deux compères. Même si ce n'est pas une nouveauté dans la série, le recours massif à la voix off garde pourtant le lecteur à distance, lui donnant le statut définitif de spectateur qui regarde la scène de loin. Par ailleurs, l’histoire d’amitié du début est toujours là mais se trouve, en exagérant un peu, reléguée au même plan que d’autres thèmes moins propices à la chaleur et à l’émotion.
A plusieurs reprises en effet, les chemins dérobés qui s’ouvrent (l'épisode Léviathan raconté par le capitaine, la montée du courant anarchiste, la cohabitation des classes, l’univers de l’édition) interpellent. Au point de s’interroger sur ce qui unit les thèmes abordés. Au point de guetter le sésame, l’étincelle qui révèlera la cohérence de l’ensemble. Mais y a-t-il finalement d'autres fils conducteurs que le nouveau déluge de feu qui rappelle l'incident du tunnel du 1er tome, le personnage de la Dame blanche qui hante jusqu'à l'obsession ou, bien sûr, la maladie et l'amitié ? On pourra toujours dire que la voie était toute tracée vers une plausible fin et qu’il était nécessaire de semer ici et là quelques dérivatifs pour ne pas plonger trop tôt dans d’inexorables ténèbres. Sans doute, et la boucle est de fait bouclée. Mais si le pathos est largement évité on pouvait néanmoins s'attendre à plus d’humanité. A moins que chacun d'entre nous ne soit définitivement seul. Le fait d'être accompagné, ne fût-ce qu'un instant, n'y changeant fondamentalement rien.
Sur le plan graphique, la patte de Mottura est désormais familière et c’est avec plaisir qu’on retrouve ses scènes de foules fourmillantes et ses environnements urbains parsemés d’architectures monumentales. Là, en bonus, la visite de la Nouvelle York et la relecture de l’accident du Hindenburg lui offre le loisir de s’essayer avec succès à des perspectives étourdissantes. Les bémols viendront peut-être de couleurs un peu surprenantes parfois (l’arrivée au port de New-York, sa foule et son paquebot), d’une moto japonaise moderne qui dénote avec le style des autres véhicules (symbole caché ?) ou d’une couverture qui cette fois surprend plus qu’elle ne séduit. En marge, on plaint les auteurs qui vont devoir affronter les questions portant sur un rapprochement entre le Kraken de l’inepte second volet de Pirate des Caraïbes et leur Léviathan, probablement plus inspiré par la légendaire créature biblique.
Les cendres de Carême refroidies, l'abstinence ne devrait pas être trop longue : place dans un futur proche au nouveau projet du duo Bec-Mottura (Romutta ?), Deus.
L. Cirade